Wednesday, April 18, 2012

Le Seigneur choisira-t-il le lieu de son nom ou l’a-t-il choisi? L’apport de la Bible Grecque ancienne á l’histoire du texte Samaritain et Massorétique

Adrian Schenker

1. La formule du Deutéronome : Le lieu que le Seigneur a choisi pour y établir son nom

L’étude d’un point particulier d’histoire du texte de la Bible hébraïque à la lumière de la Bible grecque ancienne est dédiée en hommage cordial à la collègue éminente Madame Raija Sollamo dont les echerches ont contribué si magnifiquement à la connaissance de la Bible grecque des Septante. Il s’agira d’une formule deutéronomique bien connue, différente dans la Bible massorétique et samaritaine. Qu’en est-il de son attestation dans la Bible grecque ancienne ? La formule elle-même se rencontre en trois formulations légèrement différentes 21 fois dans le Deutéronome. Voici la première forme : « le lieu que le Seigneur choisira (texte massorétique,  tm) ou a choisi (Pentateuque samaritain [Sam]) pour y faire habiter son nom». Elle se trouve six fois en Dt 12 : 11 ; 14 : 23 ; 16 : 2,6,11 ; 26 : 2. La deuxième forme est la suivante: « le lieu que le Seigneur choisira (tm) ou a choisi (Sam) pour y placer son nom ». Elle est attestée deux fois en Dt 12 : 21 ; 14 : 24. En Dt 12 : 5, les deux formes se cumulent : « le lieu que le Seigneur choisira (tm) ou a choisi (Sam) pour y placer son nom et le faire habiter ». La troisième forme n’a pas de complément d’infinitif et se borne à constater le choix que le Seigneur fait du lieu : « le lieu que le Seigneur choisira (tm) ou a choisi » (Sam). Le Deutéronome s’en sert douze fois en 12 : 14,18,26 ; 14 : 25 ; 15 : 20 ; 16 : 7,15,16 ; 17 : 8,10 ; 18 : 6 ; 31 : 11. D’autres éléments comme l’épithète « ton Dieu » ou «parmi toutes les tribus» peuvent entrer dans la formule. Il n’est pas nécessaire de s’y arrêter ici.

Ne 1 : 9 cite cette formule deutéronomique dans une parole du Seigneur dans sa première forme, mais avec le verbe conjugué au prétérit : « au lieu que j’ai choisi pour y faire habiter mon nom ». Roland de Vaux a consacré une étude à l’origine de cette formule dans une tournure semblable des lettres d’El-Amarna. Mais il n’a pas traité de la différence du temps qui sépare le futur employé systématiquement par le  tm du passé, utilisé non moins systématiquement par le Sam. En 2004 Sandra L. Richter a approfondi et élargi la question d’une possible origine mésopotamienne de la tournure « faire habiter ou placer le nom de YHWH là » dans une dissertation américaine. Elle n’a pas touché à la première partie de l’expression : «le lieu que YHWH choisira ou a choisi».

Faut-il reconnaître dans le Sam une des leçons spécifiques des Samaritains, secondaires en comparaison avec celle du tm ? Par un côté la question relève de la critique textuelle, et par un autre de l’histoire des religions antiques en Orient et en Occident car dans la conception religieuse d’alors le choix de l’emplacement d’un lieu saint dépend des divinités.

2. La formule en critique textuelle

Le Pentateuque Samaritain (Sam) lit l’accompli partout alors que le tm offre toujours l’inaccompli : il choisira. Dans cette alternative textuelle, la forme originaire doit être identifiée à l’aide des autres témoins du texte. Or, les manuscrits bibliques de Qumran ne sont pas préservés pour ces 21 passages, ni dans le Deutéronome écrit en caractères paléo-hébreu ni dans les fragments hébreux et le fragment grec retrouvés à la grotte 4. Les traductions hexaplaires, Théodotion (1er s. après J.-Chr.), Aquila et Symmaque (2e s.) ne sont pas non plus conservées pour cette leçon. Les exégètes antiques qui nous ont laissé leurs notes glanées dans les Hexaples d’Origène, composés dans la première moitié du 3e s., ne se sont pas intéressés à cette expression, sans doute parce qu’ils ne constataient pas de différence entre leur Bible grecque, qui lisait partout le futur, « le Seigneur choisira », et la Bible hébraïque, elle aussi avec le futur du verbe. Les Targums Onkelos, Pseudo-Jonathan et Néophyti s’accordent pour lire eux aussi partout le futur. Le même constat doit être fait pour la Bible syriaque de la Peshitta qui offre souvent l’inaccompli et quelquefois le participe, qui a valeur de présent. Mais elle n’a jamais un accompli. Saint Jérôme a toujours traduit le verbe en question par un temps correspondant au futur. Jamais il n’a un prétérit.

Reste la Septante, la plus ancienne des traductions puisqu’elle fut faite selon toute vraisemblance vers le milieu du 3e s. av. J.-Chr. Lorsqu’on la lit dans l’édition critique la plus moderne, celle de John W. Wevers, on y trouve également partout le futur. Faut-il donc constater l’isolement complet du Sam et en conclure que la formule employant le verbe au prétérit, « le Seigneur a choisi le lieu pour son nom », est une leçon spécifiquement samaritaine et par conséquent secondaire?

Il est utile de rappeler ici cependant la citation du Deutéronome déjà évoquée que le livre de Néhémie fait de notre formule, Ne 1 : 9. C’est la plus ancienne citation que nous ayons, et elle est combinée avec une citation de Dt 30 : 4. Cette double citation se trouve dans la Bible elle-même. La voici : « si votre expulsion atteignait l’extrémité du ciel, de là-bas je vous rassemblerais, et je les ferais venir au lieu que j’ai choisi pour y faire habiter mon nom ». Deux différences principales séparent la formulation du Deutéronome de celle de Néhémie. D’abord le Deutéronome parle du Seigneur, alors que, en Néhémie, le Seigneur parle lui-même à la première personne. Ensuite le Seigneur conduira, selon le Deutéronome, « l’expulsion », terme qui désigne l’ensemble des exilés, dans le pays de leurs pères tandis qu’en Néhémie il les amènera au lieu qu’il avait choisi pour la demeure de son nom. En réalité, Ne 1 : 9 combine Dt 30 : 4 avec la formule deutéronomique du choix d’un lieu pour le nom du Seigneur. Les deux, Dt 30 : 4 et la formule, sont tirés du Deutéronome car dans tout l’A.T., les deux ne se trouvent que dans ce livre. Or, Néhémie semble connaître la formule du choix du lieu dans une forme où le verbe est conjugué à l’accompli : « au lieu que j’ai choisi ».

Lorsqu’on étudie les  variantes de la  lxx dans les 21 passages qui offrent la formule du choix du lieu que le Seigneur fait pour y placer son nom, on s’aperçoit qu’il existe en plusieurs endroits des témoins du grec qui présentent une forme verbale du passé. Il est donc sage de regarder ces passages de plus près, d’autant plus que l’édition de Göttingen ne les signale pas toutes!

12:5: la cursive grecque 72 (= m dans l’édition critique de Cambridge) offre l’aoriste ξελξατο, et la traduction bohaïrique de la LXX donne le parfait I pour le verbe etaFsotpF (sans variantes dans les témoins). Brooke-McLean et Wevers notent cette variante grecque et copte. Les éditions de David Wilkins, Londres, et de Paul de Lagarde l’avaient donnée dans leur texte.

12:11,26: la Bohaïrique offre le prétérit (parfait I) selon les éditions de Peters et déjà de Lagarde. Peters ne signale aucune variante dans les manuscrits utilisés par lui. Ni Brooke-McLean ni Wevers ne signalent la leçon dans les deux endroits.

12:14: un manuscrit parmi ceux qui ont servi à l’édition de Peters offre le verbe au passé (parfait I). Il s’agit du ms F (Oxford, Bodleian Library, Cod. Huntington 33, daté de 1674). Tous les autres témoins bohaïriques et grecs lisent le verbe au futur.

12:21: deux témoins sahidiques, celui du Museo Borgiano de la Congrégation de la Curie romaine De Propaganda Fide, et le manuscrit Londres, British Museum Oriental 7594 offrent ici le verbe au passé, alors que dans les cinq autres emplois de la formule dans ce chapitre le verbe est au futur. Bien que Brooke-McLean et Wevers collationnent le manuscrit du Cardinal Borgia, et Wevers en plus celui du British Museum, ils n’offrent pas cette variante du verbe au passé. Il faut souligner que les deux manuscrits coptes n’ont qu’ici au v. 21 la forme du verbe conjugué au passé. Le v. 21 atteste ainsi une forme non assimilée, corroborée parce que attestée par deux témoins.

14:23(22): la cursive 72 (= m) offre l’aoriste dans la même forme qu’en 12 : 5. Quatre manuscrits bohaïriques de Peters A (Paris, B. N. copte 1, de 1356), C (Paris, B. N. copte 56, de 1660), D (Londres, British Museum Oriental 422, de 1393) et F (Oxford, Bodleian Library, Huntington 33, de 1674) présentent le verbe conjugué au passé (parfait I). L’édition de de Lagarde donne cette forme dans son texte, mais ni Brooke-McLean ni Wevers ne la citent dans leur apparat critique.

14:24(23) et 14:25(24) : la cursive 72 (= m) et tous les témoins bohaïriques donnent le verbe au passé (parfait I). La leçon est choisie dans les éditions de de Lagarde et Peters, mais ne figure ni dans l’apparat de Brooke-McLean ni dans celui de Wevers.

16:2: la cursive 16, que Brooke-McLean n’avaient pas collationnée, offre l’aoriste  ξελξατο, enregistré par Wevers, et cette leçon a un parallèle dans un manuscrit de la Vetus latina : elegit au parfait. Brooke-McLean et Wevers citent cette leçon latine.

16:7: la leçon du verbe au passé est attestée d’une part par les manuscrits bohaïriques G, qui est le plus ancien et le meilleur témoin bohaïrique, et H (Rome, Bibliothèque Vaticane copte 4, de 1399), une copie de G, et d’autre part par la Vetus Latina selon le manuscrit de Lyon. Ni Brooke-McLean ni Wevers ne mentionnent ici la leçon bohaïrique de G, H, mais bien la leçon de la VL.

17:8: tous les manuscrits bohaïriques sauf H offrent le verbe au passé (parfait I). L’édition de de Lagarde et celle de Peters adoptent cette leçon. Mais ni Brooke-McLean ni Wevers ne l’enregistrent!

17:10: ici Lucifer de Cagliari cite la Vieille Latine dans De Athanasio I,6 avec le verbe au parfait :  elegit. Le manuscrit de Lyon donne ce même verbe au subjonctif parfait, qui correspond à un subjonctif aoriste en grec, qui correspond à l’inaccompli de l’hébreu dans le contexte. Comme Lucifer cite dans le même extrait du Deutéronome également v. 8 avec le verbe dans la forme elegerit il présente deux formes différentes dans le même passage, alors que le manuscrit de Lyon lit deux fois la même forme (elegerit), il est vraisemblable que le scribe de ce manuscrit ou celui de sa Vorlage grecque ou hébraïque avaient déjà assimilé les deux formes verbales. Ni Brooke-McLean ni Wevers ne semblent connaître Lucifer.

Cette leçon de la Vetus Latina est ici appuyée par le manuscrit 7594 de Londres : enta . . . peknoute sotpF. Elle n’est pas signalée par Wevers. Comme ces deux témoins sont sûrement indépendants l’un de l’autre, leur témoignage conjoint est précieux. Or, Wevers ne signale la leçon ni de la Vetus Latina ni de la Sahidique.

Puisque aussi bien dans la Vetus Latina que dans le manuscrit sahidique de Londres le verbe est au futur dans la formule deutéronomique en général, et en particulier dans ce ême chapitre 17 au v. 8, qui
précède immédiatement, la leçon du verbe au passé n’est pas assimilée à la majorité des cas. Pour cette raison même il a des chances d’être original.

Lorsqu’on rassemble ces glanures dans le champ des variantes de la lxx la moisson n’est pas négligeable. Premièrement, on compte onze cas sur les 21 emplois de la formule deutéronomique où un ou deux témoins offrent le verbe au passé : 12 : 5, 11, 21, 26 ; 14 : 23(22), 24(23), 25(24) ; 16 : 2, 7 ; 17 : 8, 10.

Deuxièmement, de ces onze cas, cinq ont l’appui de deux témoins : en 12 : 5 ; 14 : 24(23), 25(24) ce sont la cursive grecque 72 (= m) avec la Bohaïrique dans l’ensemble de ses témoins ; en 16 : 2 ce sont la cursive grecque 16 et la Vetus Latina alors qu’en 17 : 10 ce sont la Vetus Latina et la Sahidique. Il faut y ajouter également 14 : 23(22) où l’un des deux groupes qui forment l’ensemble des témoins bohaïriques, à savoir celui qui est formé par les manuscrits A, C, D, F, appuient le témoignage du ms grec 72, et 16 : 7 où la Vetus Latina correspond à l’autre groupe des manuscrits bohaïriques, à savoir G et H. Or, il convient de souligner dès ici que ce sont des témoins indépendants qui n’ont pas exercé d’influence les uns sur les autres, excepté éventuellement les deux versions coptes.

Troisièmement, à l’intérieur du texte de chacun des témoins mentionnés, c’est-à-dire les cursives 16 et 72, la Bohaïrique, la Sahidique et la Vetus Latina, les passages offrant le verbe conjugué au prétérit sont minoritaires en face des autres avec le futur. Dans le ms 72, qui n’est pas conservé en Dt 16 : 15–16, la formule est attestée dix-neuf fois. Le verbe apparaît à l’aoriste indicatif, donc au passé, seulement quatre fois tandis que dans les autres quinze occurrences la forme verbale équivaut à un futur. Le ms 16, collationnée par Wevers pour tout le Deutéronome, n’atteste qu’une fois le prétérit (l’aoriste de l’indicatif ) en face de vingt fois avec une forme équivalente à un futur. Quant à la Vetus Latina, elle présente trois fois le parfait elegit sur dix-huit fois où on y lit le subjonctif du parfait, qui équivaut à un futur dans le contexte. La Bohaïrique présente le prétérit cinq fois attesté par l’ensemble de ses manuscrits, et trois fois dans une attestation formée au moins par tous les témoins d’un des deux groupes des manuscrits. Dans un cas, un ms bohaïrique a probablement assimilé la forme verbale du passé à deux verbes au passé qui précèdent immédiatement, à savoir le ms F en 12 : 14 après 12 : 5, 11. En tout la Bohaïrique atteste ainsi sept ou huit passages où il est probable que le verbe fût originalement au prétérit, contre treize au futur. Quant à la Sahidique, elle offre deux fois la formule deutéronomique avec le verbe au passé.

Lorsque les cinq témoins, les deux cursives grecques 16 et 72, la Bohaïrique, la Sahidique  et la Vetus Latina, attestent donc le verbe conjugué au passé, cette leçon est chez eux une leçon minoritaire, car elle se trouve à l’intérieur d’une formule toujours identique, sous l’aspect du temps du verbe, et répétée 21 fois dans le Deutéronome. Ainsi cette leçon a-t-elle de bonnes chances d’être originale dans chacun des cas où elle se rencontre.

Quatrièmement, la nature de ces témoins textuels de la leçon conjuguant le verbe «choisir» au passé suggère la possibilité d’une haute antiquité de cette leçon. En effet, la Bohaïrique et la Sahidique attestent souvent la lxx ancienne, c’est-à-dire antérieure à la recension origénienne ou hexaplaire. La même chose vaut pour la Vetus Latina qui représente en bien des cas une forme de la lxx non recensée30
.
La cursive 72 (= m), un Octateuque grec du 13e s. de la Bodléienne à Oxford fut classée par Wevers dans le deuxième sous-groupe des témoins hexaplaires, comprenant également les cursives 29, 58, 707 et la version arménienne. Ce sont les témoins les moins origéniens parmi les témoins de la lxx origénienne. Ils sont en effet marqués par certains traits spécifiques de la  lxx hexaplaire mais il leur manque d’autres. C’est donc un manuscrit à caractère mixte. Il n’est pas entièrement hexaplaire. La cursive 16, un Octateuque du 11e s. de la Bibliotheca Mediceo-Laurenziana de Florence, est un représentant typique de la lxx du groupe des chaînes, où des variantes sporadiques peuvent se rencontrer, notamment dans un manuscrit ancien comme le 16. En effet, en notre cas, il atteste une unique leçon propre (16 : 2) sur vingt autres leçons majoritaires.

Cinquièmement, il est pour ainsi dire certain que ces cinq témoins ne dépendent pas du Pentateuque samaritain. Ils reflètent la transmission du texte de la LXX.

En conclusion, voici le jugement textuel que l’on peut porter sur le temps du verbe « choisir » dans la formule deutéronomique « le lieu que le Seigneur choisira ou a choisi » dans la Bible grecque des LXX : premièrement, les onze leçons du verbe au prétérit sont attestées par cinq témoins différents et indépendants les uns des autres, à l’exception possible de la Bohaïrique et la Sahidique.

Deuxièmement, cette leçon est intégrée en chacun de ces cinq témoins dans une formule, répétée vingt-et-une fois. La leçon est par conséquent minoritaire et a pour cette raison même de bonnes chances d’être plus originale que la leçon majoritaire. En effet, à cause du caractère formulaïque du contexte, la pression s’exerce pour les copistes en direction d’une formulation identique partout et non vers la diversification, pour laquelle le contexte n’offre aucun motif nulle part.

Troisièmement, cette leçon se distingue du  tm alors que la leçon majoritaire, celle qui présente le verbe « choisir » au futur, s’accorde avec lui. Or, dans la transmission textuelle de la lxx, la tendance allait vers l’assimilation du grec à l’hébreu. Dans cette perspective aussi, la leçon minoritaire a des chances de représenter le texte grec non assimilé, c’est-à-dire non recensé.

Quatrièmement, le prétérit du verbe est attesté dans le Sam qui n’a pas exercé d’influence ni sur la  lxx ancienne (il n’exista pas encore lorsque la Bible grecque des lxx fut traduite) ni sur les cinq témoins qui conservent également la leçon du verbe au passé. Par conséquent, la leçon du Sam et celle des cinq témoins se confirment mutuellement.

Cinquièmement, la quasi-citation de la formule en Ne 1 : 9 avec le verbe « choisir » à l’accompli appuie ce jugement. Ne 1 : 9 ne se situe pas après le choix du lieu que le Seigneur avait fait au temps de David comme c’est le cas dans l’emploi de la formule en 1–2 R et en 2 Ch32. Car Ne 1 : 9 cite la formule dans la forme même dans laquelle Moïse l’avait prononcée selon le Deutéronome. Ne 1 : 9 ne fut certainement pas influencé par le Sam, et il est hautement improbable que le passage néhémien ait influencé les cinq témoins textuels de la lxx du Deutéronome qui offrent quelquefois le verbe « choisir » conjugué au prétérit. Ainsi Ne 1 : 9 devient-il un témoin textuel indirect dans le  tm même pour appuyer la forme originale du verbe à l’accompli.

En résumé, la  lxx originale a probablement lu au 3e s. av. J.-Chr. le verbe à l’accompli : « le lieu que le Seigneur a choisi », puisqu’elle a trouvé cette forme du verbe dans son modèle hébreu. Elle atteste ainsi la leçon du Sam comme présamaritaine. L’accompli du verbe dans cette formule deutéronomique n’est pas une leçon secondaire créée par les Samaritains. Reste la question de savoir quelle forme, celle du tm avec l’inaccompli du verbe, ou celle de la lxx originale et du Sam avec l’accompli, est première, et quelle forme est secondaire.

Pour répondre à cette question il faut peser les probabilités contextuelles. Car la différence entre le futur et le passé n’est pas une question d’erreur scribale, mais de conception théologique du lieu du sanctuaire unique prescrit par le Seigneur dans le Deutéronome. En d’autres termes, il s’agit ici non d’une variante textuelle, mais d’une variante théologique. Ces variantes de contenu s’appellent souvent leçons littéraires. Car elles ne doivent pas leur existence à des erreurs ou interventions normales de scribes désireux d’améliorer leur copie ou négligents dans leur tâche. Elles correspondent à des modifications délibérées d’éditeurs du texte biblique, soucieux du sens correct de l’Ecriture. On peut ainsi parler également de corrections littéraires ou théologiques.

3. La portée de la formule deutéronomique dans le TM

Le tm annonce un choix futur du lieu où le Seigneur placera son nom. Moïse ne le connaît pas encore. Ce choix se révèlera en 2 S 24 = 1 Ch 21 à l’époque de David. Avant cette époque la liturgie était célébrée dans la tente établie au désert après la sortie d’Egypte des Israélites. La tente représentait le paradoxe d’une maison du Seigneur sans lieu. Ce sanctuaire transportable était dressé dans des lieux divers en Israël.

La formule deutéronomique du lieu que le Seigneur allait choisir à l’avenir pour sa maison jette un pont entre l’époque de la sortie d’Egypte et, selon le Deutéronome, des plaines de Moab (Dt 12–28) où YHWH avait fondé la liturgie israélite, et le temps de David à qui le Seigneur révéla alors le lieu où sa maison devait être édifiée.

4. La portée de la formule deutéronomique dans la LXX ancienne et le Pentateuque samaritain

Ici le Seigneur a déjà fait son choix du lieu où il allait placer son nom dans la terre où les Israélites se préparaient d’entrer. Dans la formule aucun nom n’est mentionné pour ce lieu. Mais en Dt 27 : 5–7, Moïse reçoit l’ordre de bâtir un autel sur une montagne, appelée au v. 4 Ebal dans le tm, Garizim dans le Sam et la Vetus Latina33. Là devaient être offerts les holocaustes et les sacrifices de communion, et à l’occasion de ces sacrifices, les Israélites pouvaient se réjouir là-haut, comme le Seigneur les invitait à le faire en Dt 12 : 5–6, juste après avoir dit au v. 5, en employant la formule du lieu choisi par le Seigneur, que ces fêtes devaient se célébrer uniquement et exclusivement dans ce seul lieu! Quel lecteur non prévenu du Deutéronome n’établira pas ingénument le lien entre le lieu que le Seigneur allait choisir, ou avait déjà choisi et le mont Garizim ? La leçon de la lxx ancienne, rejointe par le Sam, conjuguant le verbe au passé dans la formule du choix d’un lieu pour le nom du Seigneur, crée une forte tension avec la désignation de l’aire d’Arauna sur une hauteur au-dessus de Jérusalem, choisie si tard par le Seigneur, seulement au temps de David, comme lieu où le Seigneur allait faire habiter son nom, selon le hieros logos vénérable et important de 2 S 24 et 1 Ch 21. Or, le verbe « choisir » conjugué au futur ôte du coup cette tension.

Il semble ainsi bien plausible en conclusion, que le  tm représente la correction textuelle d’une forme plus ancienne pour des motifs théologiques. Car on voit clairement les raisons qui expliquent la modification.

5. Conclusion d’ensemble

Un examen approfondi montre que la  lxx ancienne offrait le verbe « choisir », dans la formule deutéronomique : « le lieu que le Seigneur choisira / a choisi », dans la conjugaison de l’accompli. Elle atteste ainsi la leçon du Pentateuque samaritain au milieu du 3e siècle avant notre ère. À ce moment-là elle n’est pas encore influencée par le Pentateuque samaritain car selon toute vraisemblance, celui-ci n’exista pas encore dans sa forme spécifique à cette haute époque. Puisqu’on voit bien la forte tension que cette leçon a dû créer en Juda et à Jérusalem à cause du  hieros logos du temple fondé sur le Sion, 2 S 24 et 1 Ch 21, il est plus plausible d’expliquer le  tm comme une modification apportée à la formule afin d’enlever une tension théologique importante que de supposer une modification inverse qui eût affecté le modèle hébreu de la  lxx ancienne avant le 3e s. avant notre ère, en dehors de tout contexte samaritain spécifique. On ne voit aucun motif pour une telle modification.

La leçon nouvelle du  tm a dû être créée après la traduction du Pentateuque en grec au 3e s. Car il est probable que les traducteurs juifs d’Alexandrie se soient servis d’un texte du Deutéronome en provenance de Jérusalem et par conséquent approuvé par les autorités compétentes de là-bas.

Très tôt les exemplaires grecs furent alignés sur le texte hébreu précurseur du tm si bien que la forme ancienne, non révisée ne s’est conservée que dans les zones marginales du monde grec, dans les milieux de langue copte en Egypte et de langue latine en Gaule. Mais ces témoins marginaux donnent accès à l’histoire du texte biblique dans un point particulièrement névralgique.

Tableau synoptique:
Le verbe conjugué au passé selon la Septante ancienne

1
12: 5
Greek 72
Bohairic


2
12: 11

Bohairic


3
12: 14

(Bo : F)


4
12: 21


Sahidic

5
12 : 26

Bohairic


6
14 : 23(22)
Greek 72
(Bo : ACDF)


7
14 : 24(23)
Greek 72
Bohairic


8
14 : 25(24)
Greek 72
Bohairic


9
16 : 2

16

Vetus Latina
10
16 : 7

(Bo : GH)

Vetus Latina
11
17 : 8

Bo (sauf H)


12
17 : 10


Sahidic
Vetus Latina (Luc)

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